Ex nihilo Neil

08 août 2011

Les Prétendants d'Elya (10)


La cage aux oiseaux

Nous commencions à nous élever et je fixai Vallach’. Son expression avait totalement changé depuis sa profession de foi, c’était maintenant un soldat tout investi de sa mission. Je réalisai soudain que sa comédie, depuis le début de cette incroyable aventure, avait berné tout le monde, jusqu’au soupçonneux Azyel qui n’avait somme toute réagi que fort tardivement. Quel génie de l’espionnage et de l’infiltration devait se cacher derrière ce visage qui n’avait respiré que fatuité et oisiveté, et qui maintenant ne reflétait que la plus totale détermination.
Comment n’avions nous pas pu suspecter ce candide courtisan ? Dès le départ, il avait décidé de jouer la partie en finesse, s’inquiétant en priorité de plaire à la princesse, considérant le problème sous son côté humain. Logique.
Mais maintenant, ce n’était pas pour l’Humanisme qu’il nous proposait son aide. Car après tout il aurait très bien pu s’enfuir et nous planter là. S’il nous aidait, c’était pour sauver un peuple, peut-être son futur peuple (bien qu’il fût douteux qu’Azyel laisse un humaniste accéder au pouvoir des Marches alizées).
J’en étais à me demander si le faux faisan avait aussi fait semblant de ne pas savoir se battre quand Galaad demanda :
« Mais, attendez, s’il n’y a plus de magie, comment la plate-forme tient-elle en l’air ?
— Apparemment ce sont des hommes-oiseaux qui la soutiennent, répondit Vallach’, les yeux plissés par l’effort.
— Enfin, ceci dit, moi, je m’en fiche un peu de la magie, poursuivit le protecteur. Pour tout dire, si elle disparaissait, cela faciliterait beaucoup le métier !
— Ah oui ? demanda Vallach’. Les effets ne touchent que faiblement les mages pour l’instant car ils sont moins sensibles que les dragons, mais tôt ou tard ils commenceront à dépérir comme les ailés.
— Bah, je survivrai à la perte des mages, fit Galaad en coulant un regard en biais vers Azyel, trop courroucé pour faire attention à la pique.
— Belle abnégation. Surtout de la part de quelqu’un qui sort avec une mage des cités.
— Hein ? Merde, Sidney !
— Bah oui.
— Mes amis, faites semblant de rien mais nous avons de la visite », fis-je en voyant quatre hommes-oiseaux armés jusqu’aux ailes descendre à notre rencontre.

Ce combat aérien, porté par les vents de Szyl, fut sans doute le plus étrange de ma vie. Vallach’ peinait à nous transporter tous ensemble ; il était hors de question pour lui de nous aider à repousser les assaillants. D’un autre côté, ceux-ci avaient bien compris que c’était le courtisan qui nous permettait de léviter, et c’est lui qu’ils comptaient viser en priorité. Nous fîmes donc corps autour du marquis de Veynes, ou quel que soit son vrai nom, et le défendîmes bec et ongles.
Mon shaaduk’t vrombissait en tous sens, sans toutefois réussir à toucher les étranges volatiles. Sans doute manquais-je de pratique. Pelenor, de son côté, affrontait deux de ces créatures, et déjà il en avait estropié une, tranchant net une aile à mi-longueur. L’étrange être volant tomba à pic, probablement sur la grand-place où Mercutio et Aléthéïos « discutaient ».
Galaad combattait vaillamment un des hybrides et Azyel donnait de furieux coups d’épée, dont un parvint à toucher et blesser mortellement son adversaire.
Tout à coup nous fûmes devant la grande plate-forme, qui était effectivement tenue par une dizaine d’hommes ailés dans l’incapacité totale de lâcher leur pesant fardeau pour assister leurs congénères. Sur la plate-forme, au centre d’un cercle runique iridescent, se tenait la reine des Faës, triste et magnifique, entourée de deux gardes et de monsieur R. Nous nous posâmes sur le « sol » et Galaad déclara d’une voix forte :
« Nous sommes mandatés par la caste des protecteurs et par la justice de Brorne pour reconduire cette personne à sa forêt et porter ses ravisseurs devant la justice de Kor. R, ou quel que soit votre véritable nom, veuillez nous suivre sans opposer de résistance !
— Quelle impudence ! Que croyez-vous, jeune protecteur ? Jamais je ne me rendrai, je ne reconnais pas votre justice, ni votre prétention à l’incarner de par Kor tout entier. Les dragons nous ont créés, puis abandonnés. Personne n’a pris soin de nous, contrairement à vous, bénis des Ailés. S’il faut en passer par là pour que nous accédions au respect qui nous est dû, nous détruirons la magie, les dragons et toute trace de vie humaine du dos de Moryagorn.
— J’entends vos suppliques mais ne les comprends pas, m’exclamai-je. Qui êtes-vous donc ? Je n’ai jamais ouï parler de créatures telles que vous, d’où venez-vous ?
— Il est un peu tard pour poser des questions, prodige. Mourez, et que les vents emportent vos carcasses ! »
Les négociations étant de toute évidence terminées, les deux gardes et R s’élancèrent en avant. Malheureusement pour eux, Galaad et Pelenor avaient eu tout le temps de se préparer. Ils étaient sur terrain dur et fortement échauffés par les aventures de la journée, les volatiles ne firent pas long feu, tranchés en deux par le chevalier, et le protecteur mit R hors de combat en un tournemain. La lame sous la gorge, il lui demanda où était Olanie.
« Olanie ? Vous pensez encore qu’il s’agit du véritable comte d’Olanie ? C’était un espion à notre solde, mais il n’avait pas les tripes pour ce travail. Il vous estime plus que sa propre race, en tout cas bien plus que vous ne le méritez, et il est parti essayer de trouver un compromis avec la princesse. Cet imbécile est sans doute déjà mort ! Comme s’il était possible de discuter avec vous, barbares ! Vas-y paladin, tranche ma gorge, puis va raconter à ton peuple comme je t’ai traîtreusement attaqué par derrière pour te contraindre à cette extrémité ! Qu’attends-tu ? »
Galaad regarda l’homme ailé, recula et rengaina son épée.
« Votre tendance à la généralisation semble quelque peu maladive. Pelenor ! »
Le chevalier arriva par derrière et assomma la créature d’une manchette. Je me précipitai vers la reine des Faës qui se retourna vers moi avec un regard d’une infinie douceur. Elle ne semblait pas comprendre la situation, mais une image de forêt me vint à l’esprit. Je lui jurai que nous allions la ramener dans son royaume et la raccompagnai vers les autres. Azyel négociait avec Galaad le tranchage de gorge du kidnappeur quand nous ressentîmes soudain comme une gêne. Comme si nos estomacs remontaient au niveau de nos poumons…
C’est alors que nous les vîmes partir ; les hommes-oiseaux qui maintenaient la plate-forme en l’air s’enfuyaient vers l’horizon, la laissant à la merci de la gravité. Vallach’ nous rameuta, ferma les yeux et se concentra au-delà de tout, tentant de soulever les sept personnes présentes. Je constatai alors que mes pouvoirs m’étaient revenus, de même que Azyel dut s’en rendre compte, et je tentai de soulager le courtisan autant que possible en usant de la magie de la nature. Nous quittions déjà la surface de la plate-forme qui, conformément aux lois de la physique newtonienne, chutait de plus en plus vite. C’est depuis une dizaine de mètres d’altitude quand nous la vîmes réduire en gravier le centre de la grand-place, laissant un cratère assez imposant.
« J’espère qu’Aléthéïos était dessous ! » entendis-je Azyel murmurer tandis que nous descendions paisiblement, suspendus dans les airs.

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