Ex nihilo Neil

12 août 2011

Les Prétendants d'Elya (11)


Et voici que s'annonce la fin de notre palpitante aventure. Adieu, brave Galaad (Rem's), puissant Pelenor (Sam), doux Fagus (moi), étonnant Vallach' (Nono), intrigant Aléthéïos (JM) et psychotique Azyel (Hervé). J'espère que cette histoire vous aura plu, autant qu'il m'a plu de l'écrire (je rappelle que tout le mérite du scénario revient à mon ami et MJ Marc).
Et c'est parti pour le dernier chapitre.



Dernière bataille

Comme nous posions le pied à terre, le mage des rêves s’approcha de nous :
« J’ai réussi à détruire la plupart des containeurs de vers du Fléau, les quelques subsistant ne devraient pas poser de gros problèmes. En revanche il va falloir rénover le réseau d’égouts de la ville.
— Quelle est toute cette agitation ? » demanda Galaad. Effectivement, la place était couverte de gens en armes, courant en tous sens mais convergeant plus particulièrement vers le palais royal, qui semblait en proie à la plus vive agitation.
« Je pense que les événements au château requièrent vos services, officier », répondit la voix de baryton de Mercutio, jailli d’entre deux murs. Il se retourna vers la reine des Faës, s’inclina respectueusement (sans parvenir toutefois à se faire plus petit) et lui expliqua dans sa langue que, si elle le souhaitait, il allait l’escorter jusqu’à sa forêt. La reine eut un petit sourire mutin et partit aux côtés du colosse marchant droit devant lui. À mesure qu’ils avançaient, des lutins, faunes et autres gnomes sortaient des maisons voisines et les rejoignaient en un étrange cortège de conte de faë. Plus jamais les créatures de la forêt ne revinrent ennuyer la population d’Elya.
« Ça fait quand même un drôle de couple », commenta Vallach’, penchant la tête bizarrement.
« Bon, Aléthéïos, que se passe-t-il au palais ?
— Je n’en ai pas la moindre idée. Peut-être que si nous demandions à un de ces soldats… »
Pelenor tendit alors le bras et ramena jusqu’à lui un homme d’armes qui passait par là. L’interrogatoire du malheureux, dont le front arrivait à peine au sternum du chevalier, fut rapide :
« C’est un coup d’État, le comte de Falonie tente de s’emparer du trône…
— Diantre, le fourbe ! s’exclama Vallach’, redevenu lui-même. Il veut me voler mon royaume ! Nous ne pouvons pas le laisser faire !
— Ne crois pas que je fasse ça pour toi, hérétique, mais il est en effet hors de question de laisser un tel putsch prendre place, s’insurgea Azyel. En avant ! »
Après avoir confié R à deux protecteurs qui passaient, nous nous jetâmes donc à corps perdu dans la bataille, en compagnie bien rodée que nous étions devenus. Les gardes de l’entrée, qui déjà n’en menaient pas large (il faut dire que les plantons, en cette période de tournois et de bals, étaient plutôt là à des fins décoratives), laissèrent leur hallebarde sur place et s’enfuirent dès qu’ils distinguèrent l’air décidé de Pelenor et Galaad (ce en quoi ils se trompaient de peur : à ce moment-là Azyel, prêt à faire feu à tout moment, était de loin le plus redoutable d’entre nous).
L’intérieur du palais était un véritable capharnaüm et nous nous séparâmes pour couvrir plusieurs fronts. Je m’élançai avec Vallach’ à l’assaut d’un escalier qui menait à de vastes couloirs de bureaux, où les gardes royaux affrontaient les miliciens qu’avait armés sans le savoir le prince-marchand Argen. Nous nous taillâmes un chemin assez aisé à travers ces fantassins sans grande motivation et, aidées par ce prompt renfort, les forces alyzéennes eurent bien vite nettoyé la place. Poursuivant notre route, assommant toujours plus de mercenaires, nous arrivâmes finalement aux appartements de la princesse, assiégés par le comte félon et ses sbires. Comme nous débouchions face à eux, Falonie se retourna. Son regard, que nous avions connu fier et droit, puis incertain et vindicatif, respirait à présent la fièvre et l’excitation. Ses yeux s’injectèrent en tombant sur Vallach’, qui s’avança sans crainte et ouvrit la bouche :
« Monsieur le comte, autant vos sinistres projets pouvaient être gracieusement oubliés tant qu’ils n’avaient rien de factuels, autant cette infamie ne saurait être pardonnée. Il convient cette fois que je vous corrige, et de manière autrement plus douloureuse que la dernière fois. Soyez certain que je ne laisserais aucune cha… »
Le marquis ne put malheureusement achever sa phrase, le comte ayant saisi une masse d’armes (heureusement assez émoussée aux pointes) et la lui ayant lancée en un geste plein de rage. Les abdominaux du faisan avait peut-être légèrement amorti le choc puisqu’il se contenta de s’écrouler en gémissant des propos incompréhensibles. Falonie s’avança alors, grimaçant de haine face au courtisan :
« Messire Vallach’, marquis de Veynes, hein ? Ma priorité absolue est de briser cette porte pour faire entendre raison à la princesse et au besoin l’épouser de force, mais je puis encore me permettre une petite récréation… VOUS, je vais vous faire briser les membres un à un, je vous ferai brûler les yeux, je vous laisserai croupir dans la plus misérables des oubliettes alizéennes, et quand vous ne serez plus qu’un tas de chair sans âme, je vous enverrai à Yris, aux hauts dignitaires de la Sainte Inquisition, assorti d’un CV détaillé explicitant clairement votre implication dans les complots humanistes qui s’ourdissent dans cette cité. Et eux sauront, je n’en doute pas, déployer les trésors d’imagination qui me manquent encore pour vous faire payer toute l’humiliation que vous m’avez fait subir !
— Et… vous… trouvez… que je parle… trop ! » articula faiblement Vallach’, dont la bouche laissait couler un mince filet de sang.
Falonie allait lui donner un coup de pied quand je tendis mon shaaduk’t vers lui :
« Cela suffit, monsieur le comte. Je serai votre adversaire pour ce combat.
— Qu’est-ce que tu veux, toi ? Hans, Gunther, débarrassez-moi de ce freluquet ! »
Les dénommés Hans et Gunther étaient de vraies montagnes, et ils s’avancèrent vers moi de manière assez menaçante. Soudainement, ils semblèrent s’effrayer de quelque chose se passant dans mon dos. Je vis alors de part et d’autre de ma position jaillir deux grands gaillards en armes, qui à ma grande surprise n’étaient ni Galaad, ni Pelenor. Cranor, champion d’Ircadie, et le faux comte d’Olanie étaient là, armés et prêts à se battre pour la bonne cause. Ils se jetèrent sur les deux mercenaires et n’en firent qu’une bouchée. Malheureusement, il n’y avait pas que deux sbires et c’est une demi-douzaine chacun qu’ils avaient à affronter. Les laissant à leurs affaires, je repris ma conversation où je l’avais laissée :
« C’est assez, monsieur. Rendez-vous, vous voyez bien que tout cela est perdu d’avance.
— Vous ne m’attraperez jamais, ha, ha, ha… » fit-il en se drapant dans sa cape et en s’esquivant par la grande porte. Las, il entra ainsi droit dans Pelenor, qui n’en fut pas déséquilibré outre mesure, et retomba les quatre fers en l’air sur le sol. Le choc semblait avoir eu raison de sa santé mentale, déjà vacillante, et le malheureux finit par sombrer dans une catatonie sans doute préférable pour lui à l’état de veille.
Le renfort de Pelenor, Galaad et Azyel fut précieux et les mercenaires, de toutes façons privés de chef et donc de salaire, préférèrent pour la plupart s’éclipser discrètement. La princesse sortit de ses appartements, entourée de ses suivantes dont l’une se précipita ardemment dans les bras de son sauveur. Pelenor étreignait Ingrid avec délicatesse, évitant de lui briser la nuque « dans le feu de l’action », et Galaad s’enquérait de l’état de Sidney, absente, auprès de la princesse.
« Cela a été difficile pour elle, étant donné son état et tout ça…
— Son état ? interrogea le protecteur, sentant venir le coup fourré. Comment ça son état ?
— Comment, elle ne vous a pas dit ? Toutes mes félicitations, et j’exige d’être la marraine.
— BLONK ! »
Galaad n’avait pas à proprement parler articulé « BLONK », cette onomatopée rendant juste le son qu’avait fait son armure sur le sol quand il s’était évanoui. La princesse éclata de rire, se pencha vers lui et s’excusa :
« Je plaisantais. Elle n’est pas enceinte, c’est juste que les dragons sont assez sensibles à la magie, comme vous le savez, et elle a plutôt mal vécu tout ça…
— Co… Comment ça les dragons ? bafouilla Galaad en entrouvrant un œil.
— Ben… Oui, les dragons. Sidney. C’est un dragon des cités. Vous… Elle ne vous a pas… ?
— BLONK ! »
La princesse eut un air navré et se mordit un court instant la lèvre inférieure, puis se redressa et toisa Vallach’, Olanie et Ircadie.
« Eh bien, voici trois prétendants qui n’ont que trop prouvé leur vaillance et leur intérêt pour le peuple et la couronne des Marches. Comment allons-nous à présent vous départager ?
— Si je puis me permettre, Votre Majesté, intervint Azyel (dont l’irruption soudaine semblait pour le moins incongrue), je pense pouvoir vous aider à faire votre choix. Ce misérable avorton ici présent, qui se fait passer pour un marquis, n’est autre qu’un espion humaniste venu du nord pour prendre le contrôle des Marches alyzées afin de préparer leur future croisade. Il s’est rendu plusieurs fois coupable de sacrilèges variés, sans compter l’hérésie que constitue sa fausse magie niant le pouvoir des grands dragons. Quant à ce sinistre individu, il ne s’agit nullement du comte d’Olanie mais d’une créature hybride venue ici dans le sombre objectif d’éliminer la race humaine à l’aide de la reine des Faës et d’une sombre création fataliste. »
La princesse regarda Azyel d’un air très neutre, puis m’adressa un coup d’œil par-dessus l’épaule du mage du feu. Je tapotai de manière expressive mon index sur ma tempe et elle fit mander un protecteur à l’oreille duquel elle glissa quelques mots. Azyel fut emmené manu militari hors du palais, hurlant les pires imprécations envers fatalistes, humanistes, volatiles et autres vendus, traîtres à la cause et toute ces sortes de choses…
La princesse s’excusait pour cette interruption quand le faux comte prit la parole :
« J’en suis navré, Majesté, mais cet homme a raison, du moins en ce qui me concerne. Ma race a ce soir tenté une action que je passerai sans doute le reste de ma vie à regretter, et il ne m’est plus possible de demeurer ici bien longtemps. J’espère, en m’étant battu à vos côtés, avoir rattrapé un peu des erreurs de mes compagnons et éteint en vous toute velléité de vengeance. Mais je dois à présent les rejoindre et encourir le courroux de mon peuple. Au moins dois-je me rendre à sa justice. »
La princesse ne pipa mot, comme si elle essayait d’intégrer ce que le jeune homme venait de lui dire. Alors celui-ci lui facilita la tâche, se dirigea vers la fenêtre, défit sa chemise et étendit ses gigantesques ailes d’un blanc d’albâtre. Je m’élançai alors :
« Attendez… Quel que soit votre nom, vous êtes créatures des dragons, et s’ils ne vous ont pas détruits c’est qu’ils estiment que nous pouvons vivre en bonne intelligence… Nous aurions tant à apprendre les uns des autres. Je doute que vous soyez en danger en ce royaume à présent, la princesse vous considère. Vous pourriez peut-être…
— Vous n’avez décidément jamais fréquenté les cercles politiques, ami prodige. Ma place n’est pas ici et n’y sera jamais. Les dragons nous ont créés, puis abandonnés il y a longtemps, ainsi soit-il. Nous devons en prendre notre parti, créer et poursuivre notre propre route. Peut-être nous recroiserons-nous, ce sera avec plaisir. Adieu. »
Il sauta dans le vide et ne fut bientôt qu’un point à l’horizon. Je rejoignis le groupe alors Vallach’ donnait ses explications à la princesse.
« … je ne suis donc pas digne de votre amour et dois à présent reprendre ma route de jeune hobereau errant. Ma quête n’est pas terminée et je m’en vais la reprendre là où je m’étais arrêté. Je vous souhaite tout le bonheur du monde, princesse, et j’espère vous voir un jour en mon château de Veynes, où vous serez toujours la bienvenue.
— Adieu, donc, preux marquis Vallach’ de Veynes. Je souhaite de tout cœur que nous nous revoyions, et non dans des circonstances guerrières. Je ne puis vous assurer la quiétude pour vos royaumes du nord, mais du moins essaierai-je d’entretenir la paix entre les deux factions. »
Vallach’ ne répondit pas, mais eut un sourire encourageant et, pour une fois, sincère. Il salua avec déférence et quitta la pièce noblement, sans être inquiété. Je pris congé à mon tour et courus après le marquis comme il sortait précipitamment du castel.
« Holà, l’ami. Où vas-tu à présent, de ce pas vif ?
— Et bien, comme je l’ai exposé à la princesse, je m’en vais battre la campagne à la recherche de torts à redresser, de veuves à sauver, d’orphelins à mettre dans le droit chemin…
— Tu vas te mettre au vert, quoi !
— Exactement. La princesse est bien gentille, et Cranor sera sans doute un bon roi, mais il va faire vilain temps pour moi dès que l’autre psychopathe sera sorti de l’asile.
— L’autre psy… ? Oh, Azyel ! Il risque d’être déjà très occupé avec Aléthéïos, tu ne crois pas ? Au fait, où est-il passé celui-là ?
— À mon avis, il est rentré fissa à Nadjar faire son rapport. Probablement sur le dos de Thallia, hé, hé. Je ne les ai plus revus depuis que nous avons quitté la grand-place.
— Tout de même, quelle invraisemblable aventure ! Te rends-tu compte, c’est extraordinaire ce qui nous est arrivé !
— Oui, eh bien ne le clame pas sur tous les toits. Notre équipée s’est faite plus par force que par fraternité virile, et n’était l’urgence de la situation et la nécessité permanente de renforts, jamais nous ne nous serions associés.
— Peu importe, nous avons démontré qu’il n’est point besoin de partager toutes les croyances pour former une équipe performante, nous avons prouvé que les différences pouvaient s’effacer devant le bien commun, que diverses conceptions du monde pouvaient coexister. Je chanterai cette aventure par toutes les auberges où je m’arrêterai, je conterai le courage de Galaad le protecteur, la puissance de Pelenor le chevalier, l’astuce de Vallach’, le marquis humaniste, la magie d’Aléthéïos le mage fataliste et la détermination d’Azyel, l’inquisiteur.
— N’oublie pas Fagus, le prodige lynché par la foule.
— Hein ? Mais je n’ai…
ça viendra. Si tu racontes cette histoire.
— Mmh… Je ne sais pas. J’essaierai au moins de faire passer un message de paix. »
Nous étions arrivés à l’auberge du Poney Fringuant, où Vallach’ avait laissé ses affaires, son valet et son âne.
« Tu es un idéaliste, Fagus, et c’est bien. Ce monde est rempli d’idéalistes qui ne croient qu’en la guerre, tu crois en l’harmonie, puisses-tu ne pas changer.
— Pourquoi changerais-je ?
— À l’horizon se profilent de bien vilains nuages, ami. La guerre approche, et tes sermons ne rencontreront bientôt que cris de bataille et sonneries de tocsin. Si toi et moi en réchappons, je souhaite te revoir. Nous évoquerons en riant cette époque bénie où s’étaient réunis à Elya plus de cinq cents prétendants. À présent je te quitte, je préfère ne pas m’attarder. Sois prudent sur les routes, mon ami.
— Adieu, Vallach’. »
Je repris alors mon chemin. La princesse Nadia épousa Cranor lors d’une glorieuse cérémonie, à laquelle nous avions tous été conviés mais où seuls Pelenor et Galaad purent se rendre. Pelenor épousa Ingrid quelques mois plus tard et lui donna cinq beaux enfants, que je bénis tous personnellement au nom d’Heyra. Galaad finit par épouser Sidney, mais ce fut plus long. Et bien entendu, aucun enfant ne vint sceller leur union, puisque la création de nouvelle race est chose interdite. Azyel reprit sa quête, prêt à mettre la forêt à feu et à sang pour capturer ou Aléthéïos, ou Vallach’. D’après ce que j’en sais, il ne retrouva jamais ni l’un ni l’autre. On perdit sa trace du côté de la frontière de Kali, peut-être se rendait-il à Nadjar… Je croisai Aléthéïos et Vallach’ quelques fois par la suite, toujours mystérieux, complotant dans le dos des instances locales. Chaque fois, je feignis de ne pas les voir, et chaque fois des événements inattendus se produisirent, mais je préfère n’en rien dire, de même que de ce que devint le peuple oiseau dans la suite des événements. Car Vallach’ avait raison, de bien sombres nuages s’amoncelaient. Bien sombres...

FIN

2 commentaires:

SammyDay a dit…

Merci pour ce récit, qui donne simplement envie d'en savoir plus.

Neil a dit…

Merci beaucoup. C'est la seule histoire que j'aie écrite sur l'univers de Prophecy, mais nous avons des archives de différentes aventures stupéfiantes.